C’est le serpent de mer du bout du lac. Depuis plus de 10 ans, la FAPEO tire la sonnette d’alarme sur l’état préoccupant des bâtiments des Cycles d’orientation : insuffisants, surpeuplés, éloignés, pour certains vétustes, les CO sont le parent pauvre du Département de l’instruction publique. Alors que Genève s’apprête à surélever certains CO déjà saturés, des associations de parents d’élèves demandent aux élus de prioriser des CO à taille humaine, intégrés dans les quartiers.
Depuis plus d’une décennie, notre canton fait face à une augmentation massive des effectifs scolaires, notamment dans les cycles d’orientation (CO), avec une projection de 1’800 élèves supplémentaires d’ici 2028. Or, depuis que Drize est sorti de terre en 2010, aucun nouveau CO n’a vu le jour. De plus, un CO a fermé en 2015 (La Seymaz a été réattribué en urgence aux élèves du secondaire II qui se retrouvaient à l’étroit dans leurs bâtiments). Ainsi, aujourd’hui, Genève compte 19 Cycles d’orientation et cela ne suffit plus.
Ce n’était pas l’idée. Deux CO étaient prévus, l’un à Balexert (2024), l’autre à Bernex (2027). Mais des oppositions freinent leur construction, désormais repoussée à l’horizon 2030 au plus tôt. Quant au branlant Renard qui devait fermer ses portes une fois Balexert ouvert, il est prié de rempiler et sera rénové dans 5 ans. Et pendant ce temps, ses élèves devront bien trouver un toit. Mais où ? Dans les CO existants densifiés…
En urgence, le Grand Conseil a approuvé en décembre 2022 un crédit de 66,5 millions destiné à agrandir sept établissements existants, pour certains déjà pleins comme des œufs : Cayla et Aubépine allaient se doter d’un pavillon provisoire pour la rentrée 2024, alors que des extensions devaient être construites pour 2025 à la Golette, Sécheron et Colombières, et que le Foron et la Gradelle attendraient 2026, sauf opposition, pour recevoir leur surélévation.
Sauf que ces agrandissements votés en urgence ont eux aussi pris du retard : les travaux de construction pour le pavillon de Cayla, devenu entretemps définitif, ont finalement débuté cet été pour une ouverture à la rentrée 2026. Quant aux extensions des autres CO, elles n’ont pas encore commencé. En raison de l’augmentation des coûts de construction, un nouveau crédit a par ailleurs été voté en mai dernier par le Conseil d’Etat à hauteur de 21,6 millions.
Des solutions d’urgence à court et moyen terme qui s’éternisent
La question du manque de planification de bâtiments scolaires et de la pénurie qui en découle n’est pourtant pas nouvelle. En 2015, une motion au Grand Conseil intitulée Bâtiments scolaires : remettons l’ouvrage sur le métier invitait le Conseil d’Etat « à présenter sans délai au Grand Conseil une planification des constructions et rénovations à entreprendre pour les différents ordres d’enseignement. ».
Le Conseil d’Etat y répondait cinq ans plus tard que « L’augmentation des effectifs constatée dans l’enseignement primaire va toucher le cycle d’orientation dès 2022. Les projets de bâtiments neufs arriveront donc plus tard, mais des solutions à court et moyen termes sont prévues. » Ces solutions à court et moyen termes, c’était la densification. En 2021, ce sont les Voirets, la Florence et le Vuillonex qui se sont vu doter de pavillons préfabriqués provisoires, après les Coudriers en 2018.
Car l’idée de densifier tous les CO était ancrée. En 2020, la magistrate Anne Emmery-Torracinta indiquait par voie de presse que le CO à 650 élèves, c’était révolu : « chaque fois que l’on peut faire des bâtiments plus grands, on le fait. Les cycles à 900 élèves, c’est une réalité qui arrive ». Du reste, la jauge des bâtiments de Bernex et de Balexert, initialement conçus pour 650 élèves, avait été revue à la hausse pour s’adapter aux « nouvelles réalités ».
Le DIP avait précisé que l’extension des sept CO votée par le Grand Conseil était liée en partie à l’augmentation du nombre d’élèves, mais également aux rocades nécessaires lors de la rénovation des cycles délabrés. La magistrate prévenait d’ailleurs les parents en 2020 que leurs enfants n’iraient pas forcément dans le CO de leur quartier, et que la mobilité des élèves comptait également dans nos « nouvelles réalités ».
Et les élèves et les équipes pédagogiques dans tout cela ?
Augmentation du nombre d’élèves, pénurie de terrains, locaux vétustes, recours, etc. Les raisons qui expliquent la situation genevoise actuelle ne manquent pas, sont complexes et dépendent de nombreux facteurs. Mais le Cycle d’orientation n’est pas un jeu de construction modulable, c’est un lieu d’instruction pour des pré-adolescents en plein développement et en quête de repères. Alors que le harcèlement et le décrochage scolaire font les gros titres, et que l’orientation professionnelle et scolaire n’a jamais été aussi sophistiquée, le Cycle d’orientation doit privilégier les conditions d’apprentissages et le lien avec la famille.
Initialement, le CO avait été imaginé pour accueillir entre 450-650 élèves, une jauge « à taille humaine » qui favorise le lien élève-enseignant, l’appartenance à son établissement, l’intégration dans les quartiers. Mais dans ces nouveaux CO XXL, on atteindra la barre des +1000 élèves. Dans la Julie du 25 mai dernier, Isabella Siddiqi, Secrétaire générale de la FAPEO, exposait la situation : « Cela fait plus de dix ans que nous dénonçons cette densification et cette politique à flux tendu qui placent les élèves et les enseignants dans des conditions de plus en plus délétères. Le cycle à 1000 élèves, c’est le scénario du pire. »
Le vent souffle dans une nouvelle direction
Aujourd’hui, certains parents et élus n’épousent plus la vision d’un maxi CO à l’autre bout du canton. Anne Hiltpold, magistrate en charge de l’instruction publique, défend un CO à 750 élèves. Une nouvelle motion a été déposée en avril au Grand Conseil pour des quartiers vivants et suffisamment dotés en équipements publics. La FAMCO, Fédération des associations de maitres.ses du CO continue d’insister comme elle le fait depuis 10 ans sur la construction de bâtiments plus petits qui favorisent les conditions d’apprentissage.
Des associations de parents d’élèves, membres de la FAPEO, se sont mobilisées en mai pour lancer une pétition qui demande aux Grand Conseil de prioriser des établissements de petite taille et intégrés dans les quartiers. La pétition réclame également la construction de nouveaux CO dans les futurs quartiers des Cherpines et du PAV, et des mesures budgétaires urgentes pour mieux doter les équipes pédagogiques des bâtiments bondés. La FAPEO partage leurs préoccupations, appuie leurs efforts et a invité ses membres à soutenir et partager la pétition.
La question est bien sûr éminemment complexe et nécessite une réflexion multipolaire : élus, parents, professionnels, députés, magistrats, dicastères du territoire, de l’instruction publique et des finances, services de la Ville et du Canton. Mais au-delà des considérations techniques, structurelles et économiques, la question essentielle qu’il convient de se poser est celle de la place et de l’importance que l’on souhaite accorder à l’instruction publique et à l’orientation professionnelle et scolaire des pré-adolescents dans notre canton. C’est cette vision sur laquelle il convient de s’accorder ensemble.
En attendant, la cloche de la rentrée 2025 a sonné, il n’y a pas de nouveau bâtiment, ni de surélévation, et les élèves sont là.
Stéphane Mitchell
Présidente FAPEO
POUR INFO :
Sources :
https://www.20min.ch/fr/story/beaucoup-deleves-peu-de-batiments-letat-doit-bricoler-750902718127
https://www.tdg.ch/ecoles-delabrees-les-parents-montent-au-front-402545189760
https://www.tdg.ch/au-cycle-on-repousse-les-murs-pour-les-nouveaux-eleves-360440116657
https://www.tdg.ch/editorial-lurgence-de-revenir-a-des-ecoles-a-taille-humaine-990449782633
https://www.tdg.ch/geneve-vers-des-cycles-dorientation-xxl-303566797008