
Par Isabella Siddiqi, Secrétaire générale FAPEO, 10 juin 2025
Bilan encourageant après deux ans d’avancées
IS: Merci beaucoup d’accepter de nous recevoir pour transmettre vos appréciations à nos lecteurs. Il ne s’agit pas encore d’un vrai bilan de législature, car seulement deux ans se sont écoulés – mais ce sont quand même déjà deux ans – qui se sont écoulés depuis que nous avons pris nos nouvelles fonctions en même temps en 2023. Depuis votre arrivée, je pense qu’il y a un certain nombre d’objectifs qui étaient dans votre feuille de route qui sont en très bonne voie. Il y en a d’autres qui sont un peu plus complexes à mettre en œuvre ou peut-être en pause. Est-ce que vous avez envie de nous parler d’abord de ce qui fonctionne le mieux, de ce qui est le plus satisfaisant depuis que vous avez repris le dicastère ?
AH: Volontiers. Il y a effectivement des avancées, même si elles ne sont pas toujours visibles du grand public. L’un de mes premiers axes a été de renforcer la communication. J’ai souhaité donner la parole aux parents et aux élèves notamment par le sondage (ndlr Comment va l’école, printemps 2024) ou encore celui sur le calendrier des vacances scolaires (février 2025). Pour moi, c’est important de consulter les personnes qui sont directement concernées par nos décisions. J’ai aussi essayé d’insuffler une approche tournée vers les gens à qui on s’adresse. C’est-à-dire se poser la question des conséquences concrètes de nos décisions pour les jeunes, plutôt que d’appliquer simplement une directive. Cela ne se voit pas toujours, ce sont parfois des situations individuelles, mais c’est le message que je veux transmettre dans le département.
IS: Au niveau des différents projets très spécifiques de votre feuille de route, par exemple, il y a beaucoup de parents qui étaient très intéressés et en faveur, d’autres avaient beaucoup de questions et d’autres encore étaient plutôt inquiets. Est-ce que le projet d’horaire continu, par exemple, est mis de côté pour le moment ?
AH: Non, ce projet n’est pas mis de côté. Mais c’est un changement majeur de société, qui demande du temps, il se construit en collaboration avec les différents partenaires, notamment les communes, le GIAP et bien entendu, la FAPEO! L’idée est de construire un modèle ensemble, pas de le construire dans mon coin pour le soumettre en consultation. Cela dit le département est très sollicité avec de nombreux projets en cours et le temps n’est pas illimité. J’ai mis en place des groupes de travail engagés dans énormément de projets. Avec cette feuille de route, nous avons proposé une vingtaine de mesures, qui mobilisent beaucoup mes équipes. Ce travail demande de la réflexion et de la concertation. Certains prennent plus de temps que d’autres.
IS: D’accord, merci beaucoup. Donc c’est quelque chose qui se construit et qui sera probablement proposé ou mis en place dans un avenir plus lointain que ce que vous aviez imaginé au départ ?
AH: En réalité, j’ai toujours dit qu’il serait difficile de le mettre en œuvre avant la fin de cette législature. Idéalement, nous aimerions y parvenir d’ici là, mais c’est un projet d’envergure. Ce que j’ai prévu , c’est de commencer avec des projets pilotes, par exemple avec une école par commune. Cela fera aussi l’objet de discussions avec les communes.
IS: Merci pour ces précisions. Par rapport aux partenaires, vous avez mentionné tout à l’heure qu’effectivement, la relation, la collaboration, le partenariat entre les différents acteurs qui sont impliqués dans le parcours scolaire de nos enfants est crucial. Et nous, en qualité de faîtière représentant les parents et les élèves de l’enseignement obligatoire à Genève, nous apprécions particulièrement le fait que vous nous fassiez confiance et que nous puissions vous remonter toutes les problématiques que nous confient les parents et les associations qui sont membres de la Fapeo. De manière générale, le tissu associatif constate qu’il y a une espèce de démotivation d’une partie des parents, débordés et épuisés. Est-ce que vous, vous auriez quelque chose à dire pour ceux qui s’investissent, justement les parents qui bénévolement donnent de leur temps et font vivre les associations ? Pas seulement pour organiser des activités pour leurs enfants, mais qui collaborent et contribuent à la fois à la cohésion sociale de l’établissement, de l’école, mais aussi de la commune ou du quartier. Et est-ce que vous auriez peut-être deux ou trois commentaires sur ce que vous voyez comme étant vraiment positif dans cette implication des parents dans la vie scolaire ?
AH: Ce que je trouve très positif, c’est de voir des parents qui s’impliquent dans la vie scolaire de leurs enfants. Ce lien entre l’école et les familles est vraiment très important, essentiel même. Aujourd’hui, il semble parfois un peu distendu et je travaille aussi à recréer cette confiance en l’École. Les parents qui s’investissent dans ces associations, au-delà du fait qu’ils et elles s’intéressent, sont aussi force de proposition. Ils et elles peuvent venir avec des propositions que nous pourrions aussi reproduire. Je souhaite mettre en avant ce qu’on appelle « le génie local ». Il y a des projets qui se mettent en place dans une école, parce qu’il y a des parents et d’autres acteurs qui les ont proposés et qui étaient très motivés, alors qu’une même initiative ne fonctionnerait peut-être pas ailleurs. Mais c’est ça qui est beau aussi! C’est ce qui fait aussi la diversité des projets et des établissements et j’ai envie, évidemment, d’enjoindre les parents à continuer à s’investir pour le bien-être et la scolarité de leurs enfants.
IS: En effet nous constatons quotidiennement à la Fapeo la multitude, la richesse et la variété des projets que nos membres, les APE (associations de parents d’élèves du primaire) et APECO (associations de parents d’élèves du cycle d’orientation), proposent et coréalisent avec les directions, le corps enseignant ou les partenaires locaux dans les différentes écoles et dans les différents cycles genevois. Il y a certaines de ces initiatives qui sont similaires et reflètent des priorités des parents, comme proposer des alternatives aux écrans avec les Semaines sans écrans par exemple. Je sais que c’est aussi un des sujets qui vous intéresse. Les parents aujourd’hui sont confrontés à des problématiques au niveau de l’éducation qui sont complexifiées par le surinvestissement des écrans par de plus en plus d’enfants. Il y a aussi une espèce de paradoxe entre le fait que les parents veulent protéger leurs enfants, faire en sorte d’être eux-mêmes rassurés par rapport à où se trouvent leurs enfants à l’aide de certains objets connectés, mais en même temps, on se rend compte que ça a vraiment des implications, que ça a des conséquences négatives par rapport à leurs apprentissages ou par rapport à leurs relations sociales. L’école, a durci le ton par rapport à tout ce qui est non-respect des règles en ce qui concerne par exemple l’utilisation des téléphones et des objets connectés dans les écoles ?
AH: Oui, cette rentrée, les règles seront rappelées. Elles seront aussi un peu plus dures même au niveau du CO, et les sanctions harmonisées. Les téléphones resteront dans les sacs ! Et pour que notre message soit cohérent, les outils numériques personnels ne seront plus utilisés pour les activités en classe. J’ai demandé une uniformisation des règles dans tous les établissements afin que le message soit très clair pour les élèves et pour leurs parents. Si on sort son téléphone en classe ou dans les couloirs, il est d’abord confisqué, si l’élève recommence il sera en retenue, en cas de récidive ce sont ses parents qui viendront chercher le téléphone, et cela pourra encore aller jusqu’à une demi-journée d’exclusion, si nécessaire. Les parents doivent connaître ces règles. Si nous voulons agir efficacement, l’école et les parents doivent être des partenaires. C’est une question de santé publique. C’est d’ailleurs à mon initiative que les magistrats de la CIIP (ndlr Conférence intercantonale de l’instruction publique et de la culture de la Suisse romande et du Tessin) ont aussi lancé un appel pour que les cantons soient tous plus fermes. Nous souhaitons aller plus loin en lançant un appel pour que le Parlement interdise les réseaux sociaux avant 16 ans. C’est en tout cas ce que je souhaite, mais ce n’est pas le Canton seul qui pourra le faire.
IS: Il y a plusieurs pays qui ont déjà mis ça en vigueur. Vous avez parlé du climat scolaire et ça, c’est une autre des préoccupations majeures de la Fapeo et des parents, et une des priorités que vous aviez par rapport à la feuille de route. On vous a souvent interpellée avec des questions et situations liées soit au harcèlement scolaire, soit aux problèmes de santé mentale, soit effectivement aux violences qui peuvent avoir lieu entre les élèves ou entre les élèves et parfois les enseignants ou parfois des collaborateurs du GIAP. Est-ce que vous avez un moyen de prendre le pouls dans les établissements ? Est-ce que vous avez aussi le sentiment que le climat scolaire, c’est quelque chose que les enfants doivent aussi s’approprier, c’est-à-dire qu’ils doivent aussi être acteurs, eux, du climat scolaire et pas seulement face à un règlement qui doit être appliqué ou sanctionné quand il n’est pas respecté ? Que ce soit aussi une volonté générale, qui participe à la fois de l’éducation des enfants par leurs parents et de ce qui est préconisé par l’École ?
AH: Absolument ! Lors de la large enquête (ndlr Comment va l’école?), nous avons demandé aux élèves et aux parents s’ils considéraient qu’il y avait trop de violences et de harcèlement. Heureusement, leurs réponses ont été qu’ il n’y en avait pas tant que ça, mais il y en a. On peut discuter des chiffres, mais le fait qu’il y en ait, c’est déjà trop. Naturellement, la violence, n’a pas sa place à l’école. Notre objectif est qu’il y en ait moins, voire qu’elle disparaisse dans la mesure du possible. Pour le harcèlement, c’est pareil. Nous devons éradiquer le harcèlement. Je ne sais pas si on y arrivera, mais on doit vraiment y travailler. Des enquêtes sur le climat scolaire dans les cycles ont été menées dans certains établissements les résultats varient. Ce n’est pas catastrophique, mais il y a des situations où c’est plus difficile, même si, de manière générale, les élèves sont assez positifs. Et c’est vrai qu’on parle beaucoup de ce qui ne va pas et moins de ce qui va bien, il y a quand même beaucoup de lieux où çela fonctionne ! On doit se concentrer, évidemment, sur les problématiques, quand il y en a, et c’est mon souhait. Parce que mon but, est que les élèves puissent se rendre à l’école en toute sécurité, qu’ils puissent apprendre dans des bonnes conditions, et non pas qu’ils viennent à l’école la boule au ventre, parce qu’il y a de la violence. La question est aussi comment on répond à cette violence. Parce qu’aujourd’hui, je pense qu’il y a matière à revoir un certain nombre de choses. A quoi doivent servir les sanctions? Comment devons-nous agir et doit-on être plus ferme avec les élèves violents qui harcèlent parfois d’autres élèves? Il faut restaurer l’autorité à l »école, afin que les élèves comprennent qu’ils ne peuvent pas tout faire.
IS: Vous avez aussi mentionné à plusieurs reprises de vouloir remettre du sens, du sens à la fois dans la sanction, du sens dans l’enseignement, du sens dans les apprentissages. Une des thématiques que nous aimons mettre en avant, c’est comment faire en sorte que les élèves éprouvent du plaisir à apprendre de nouveau, qu’ils se réapproprient et s’investissent aussi dans leurs apprentissages. C’est sûr qu’avec les écrans, il y a une espèce de rivalité en termes de « capteurs d’attention et de propositions de contenus ». Sur les réseaux sociaux, les jeunes trouvent en direct et en continu une suite d’informations qui se succèdent de manière passive pour eux et très distrayante, mais pas du tout ou pas suffisamment pédagogique, en tout cas pas par rapport à ce que propose l’enseignement. Aujourd’hui, ce qui va bien à l’école, c’est quand et les enseignants et les élèves éprouvent du plaisir à travailler ensemble à l’école. J’ai suivi tout ce que vous avez mis en place depuis deux ans, et je sais qu’il y a des sujets qui sont plus compliqués que d’autres. Parallèlement, je voulais vous remercier de la part de la FAPEO pour la confiance que vous avez placée en nous et pour tout ce que votre investissement dans ces questions apporte comme améliorations pour les élèves.
AH: Merci à vous C’est vrai que la question centrale est toujours : pourquoi faisons-nous les choses et pour qui ? Cela guide mon action.. Qu’est-ce qui fait qu’un enfant a envie d’aller à l’école ? Quelles raisons font que les parents ont confiance en l’École, etc. Ce sont des questions fondamentales , et je continuerai à y répondre dans toutes mes décisions.
IS : Merci beaucoup.